Entretien avec Frédéric Rosmini, Naissance de l'Office Municipal de la culture et des loisirs

Publié le 9 juin 2025 à 19:31

Signé en 1975, cet acte marque la naissance d'une véritable politique culturelle pour la ville de Marseille. Il consacre la création de l’Office Municipal de la Culture et des Loisirs, fruit de l’influence d’Edmonde Charles-Roux sur son époux, le maire Gaston Defferre. Elle lui aurait alors soufflé :
                 « On ne peut pas avoir une ville qui se contente de quatre ou cinq vaisseaux amiraux. »

Edmonde Charles Roux,

la mue de Gaston Defferre

homme politique, militant associatif, président de Vacances Léo Lagrange, Secrétaire général de l’office municipal de la culture de 1977 à 1987 propos recueillis à son bureau par Gilbert Ceccaldi

 Durant les premières années de ses mandats de maire, Gaston Deferre avait une vision assez étriquée de la culture, qu'il ne connaissait que sous son versant institutionnel., elle se résumait au Théâtre National, à l'Opéra et aux musées. La municipalité de l’époque était alors issue d'une coalition socialo-centriste et la culture confiée à un élu de droite, Mr Goudareau un conservateur qui n’avait aucune inclinaison envers la culture populaire.

Puis il a épousé Edmonde Charles-Roux et l’influence de sa nouvelle femme, une personnalité exceptionnelle, a joué à tous les niveaux : par exemple, sur le plan politique c’est elle qui a permis l’ascension fulgurante de Michel Pezet autant que sa chute vertigineuse après le décès de Defferre,

Dans le champ culturel, elle a fait opérer à Gaston une véritable mue. Sans elle, il est vraisemblable que Gaston Defferre ne serait jamais allé voir une pièce d'avant-garde.

Elle l’a notamment convaincu que hormis les institutions ci-dessus  Marseille était un désert culturel, « On ne peut pas avoir une ville se satisfaisant de quatre ou cinq vaisseaux amiraux disait elle »

Sans cette injonction il n'aurait certainement pas engagé le conseil municipal dans un programme ambitieux de décentralisation culturelle.

Léo Lagrange

La fédération Léo Lagrange avait alors une vocation d’éducation populaire très affirmée et à partir de 1965 un vaste programme de. Maisons pour tous (MPT), des Maisons des jeunes se créait à Marseille, le maire avait une totale confiance en cette organisation dont il avait pu, à maintes reprises, juger de la fiabilité, et. il envisageait de confier à la fédération la gestion de tous ces nouveaux équipements socioculturels., mais je n'étais pas de cet avis. car j'ai toujours pensé que le monopole conduisait non seulement à se mettre à dos le monde associatif, mais aussi qu'il empêchait le débat d'idées, que ce soit sur des questions de culture ou de société. « On ne peut pas attendre des Fédérations d’éducation populaire la même chose que d’une section du parti socialiste, lui ai-je dit, certaines personnes du milieu socio-culturel seront peut-être du poil à gratter, elles ne plairont pas au secrétaire de section du coin voire à tel élu de secteur, mais elles portent toutes des valeurs de gauche, d'entraide, de solidarité, de partage. »

Je lui ai donc proposé de répartir la gestion des équipements entre plusieurs fédérations laïques compétentes, comme la ligue de l'enseignement ou la fédération des MJC. Les rapports entre les différentes associations d’éducation populaire souvent délicates dans le reste du pays étaient

absolument positives dans la cité phocéenne. C’est ainsi notamment que Jean Irrmann prenait la direction de la MJC Corderie et proposa que son conseil d'administration soit représentatif de l'ensemble des tendances politiques et courants associatifs, j’'en faisais partie.

 

Des personnalités comme Léo Bourrelly ou le père Igor Vasssilief , prêtre anti conformiste, ont joué dans cette période un rôle essentiel.

Il faut se replacer dans le contexte des années 60 où les associations exprimaient plus aisément qu’aujourd’hui une proximité avec des courants politiques

Grâce à Edmonde et à nos discussions, Gaston Defferre a donc pris peu à peu conscience de la nécessité d'engager un audacieux processus de décentralisation qui a notamment permis au Gyptis,au Toursky, à l’espace Busserine d’acquérir un visibilité

Le projet du théâtre du Merlan a émergé de cette volonté A la suite d'une discussion que nous avions eu dans son bureau avec Marcel Paoli nous avions convenu de le spécialiser dans les créations et formations audio-visuelles. Il a d'abord été géré par la Fédération Léo Lagrange, avec comme Directeur, Jean-Pierre Daniel qui était un CTP Jeunesse et sport mis à disposition de la Fédération. C'était un premier pas dans le rapprochement entre le socio-culturel et la culture (Pierre Barbizet qui était Directeur de Conservatoire était membre du CA du centre culturel du Merlan).

Et c’est certainement son expérience acquise dans cet établissement (aujourd’hui le ZEF) qui a permis, ultérieurement, à Jean Pierre Daniel de redonner vie au cinéma l’Alhambra st Henri considéré aujourd’hui comme un des meilleurs cinémas d’art et d’essai du pays

L'OMCL

Puis, en 1977, est né l'Office Municipal de la Culture et des Loisirs, doté de moyens importants et reposant sur un conseil d'administration constitué, à parité, d'élus du Conseil Municipal et de représentants du monde associatif ce qui était alors une situation unique en France.

Jusque-là, les structures paritaires étaient seulement des commissions extra-municipales à vocation purement consultative. Pour la première fois, une structure opérationnelle, chargée d'organiser des événements comme Marseille en fête et des animations dans les écoles, voyait le jour. Tentative officielle de rapprochement entre l'univers socio-éducatif-culturel et le monde de la culture et des arts.

Gaston en était le Président, Marcel Paoli le Vice-Président, moi le secrétaire général, Irma Rapuzzi (première adjointe), la trésorière. Dans le conseil d'administration siégeaient également six ou sept associations majeures, comme la ligue de l'enseignement, la MJC Corderie, le CCO, etc...

Nous verrons dans un prochain article quels sont les cinq points que mentionne cette charte

Avec l'office, Gaston a compris une chose essentielle : Mieux vaut partager la gestion des équipements et de l'Office de la culture avec des associations qui sont globalement progressistes, mais qui ne sont pas des agents électoraux. Non seulement cela disqualifie le clanisme et le clientélisme, mais en plus, cette liberté favorise la diversité créative.

Le maire s'était donc laissé convaincre qu'il valait mieux avoir des alliés partageant globalement ses valeurs sans être à ses ordres. L'Office de la Culture baignait dans ce climat. Lorsqu'on disait à Jean Irrmann de la MJC Corderie, « on vous dote de telle somme pour le festival populaire de St Victor », on ne lui demandait pas de nous soumettre un programme, on lui faisait confiance.

D'où la diversité des créations dans les quartiers : Maurice Vinçon (Mini Thétâtre) avec le Festival des Iles, la MJC à St Victor, Robert Badani (MPT Bonneveine) au Château Borely. L'un était plutôt dans une programmation type opéra et ballet classique, un autre plus festive. Chacun mettait sa tonalité, et cela, sans l'ombre d'une intervention de l'administration municipale, ni des élus. À tel point que même les maires de secteur de droite assistaient aux réunions pour participer à Marseille en Fête.

Les échanges de cette époque ont donc facilité des initiatives de toutes sortes. Je pense par exemple à la création par Robert Verheuge, alors coordonnateur des centres sociaux Léo Lagrange, du Centre Provençal Musique Animation (CPMA), qui proposait dans les quartiers populaires des cours de sensibilisation à la musique permettant de repérer des talents précoces et d’orienter de jeunes élèves vers le conservatoire.

Cette belle dynamique s'est achevée en 1987 avec le mandat de Robert Vigouroux, dont l'une des premières décisions a été de supprimer le collège associatif dans l'Office, ce qui a gelé son fonctionnement.

Il faut bien noter que Vigouroux est devenu maire par un tragique concours de circonstances, suite à la mort de Gaston Defferre et à l'accusation de « parricide » faite à Michel Pezet Dans ces conditions traumatisantes, Vigouroux a choisi de rompre avec tous ceux qui avaient soutenu Michel Pezet. L'office en a fait les frais.

Il est vrai que l'office fonctionnait comme un organisme d'action culturelle autonome, avec Marseille en Fête, les festivals populaires, les ateliers de pratique artistique dans les écoles ou des fonds d'intervention divers, il n’avait que peu de contacts avec services culturels municipaux , ni auprès des vaisseaux amiraux de la culture à Marseille tels que le Théâtre la Criée ou les musées.

Finalement il aurait été préférable de le nommer « Office de la Décentralisation Culturelle ».

L'Éducation populaire s'est créée sur des valeurs de solidarité, de fraternité, de vivre ensemble de promotion de l'individu qui s'accommodent mal avec le libéralisme.

De manière générale, les élus ont du mal à comprendre qu'il ne suffit pas d'avoir de la bonne volonté pour gérer un équipement,

mais qu'il faut aussi avoir des compétences. Par exemple, Léo Lagrange a géré pendant des années le Centre de Rencontre Internationales de la Rue Tivoli, un équipement exceptionnel, qui faisait honneur à la ville en accueillant de nombreux groupes de jeunes étrangers. Bruno Gilles, lorsqu’il a été élu maire de secteur, a voulu récupérer cet équipement sans en avoir le mode d’emploi, sans réaliser que la mairie de secteur ne disposait pas des ressources financières ni des compétences et connaissances en termes de réseau pour le gérer. Alors, en quelques mois, le centre a périclité et été transformé en bureaux. Il avait un centre de rencontres internationales à Marseille et il n’y en a plus parce que des élus ont cru qu'en reprenant un site ils reprenaient une activité.

Ces dernières années, il s'est passé la même chose avec l'équipe Gaudin. Des associations, comme l'EPISEC, Synergie Family et l'IFAC ont été créées ou sollicités par des élus pour répondre aux appels d'offre et prendre la gestion des Maisons Pour Tous au détriment des associations laïques initiales. Des structures créées de toutes pièces totalement dévouées aux élus de la précédente municipalité,. Exactement ce que nous avions déconseillé à Gaston Defferre.

De Gaulle aurait dit un jour : « Dans notre pays le patronat est globalement à droite et le monde associatif est globalement de gauche, c'est ce qui fait l'équilibre de notre nation ».

Avec le passage en Délégation de Service Public (DSP – Loi Sapin), les Maisons pour tous sont transformées en prestataires de services et alignées sur le même cahier des charges, ce qui pendant l’ère Gaudin les a éloignées des référentiels des projets d'Éducation Populaire...

C'est d'autant plus vrai à Marseille, où il y a une culture inter associative importante, si on mets autour de la table ,la fédération des centres sociaux les Centres de Culture Ouvrière, Léo Lagrange, la fédération des MJC, les FRANCAS, les CEMEA et qu’on leur dit : « ensemble, bâtissez un projet qui soit utile pour la ville avec des dirigeants désintéressés et des salariés compétents » cela serait possible » alors qu'avec certains nouveaux gestionnaires, on est dans le business et la culture start-up... Certaines personnes ont compris que le social pouvait générer des flux financiers et elles profitent de l’air du temps qui est plutôt de faire le Buzz que de promouvoir une citoyenneté active 

Car il y a incontestablement une baisse de niveau du contenu éducatif et citoyen des équipements socioculturels qui sont enfermées dans des contraintes éducatives et financières et qui surtout dans les mandatures de Gaudin n’ont pas été encouragées à privilégier des actions à haute valeur éducative

Pour conclure mon propos je voudrais dire la chance qu’ont eu les associations de participer à l’extraordinaire impulsion sociale et culturelle initiée par deux hommes d’exception Gaston Defferre et son adjoint à la culture Marcel Paoli et dans ce qui fut une véritable « Movida marseillaise » rappeler le rôle joué par Maurice Vinçon , Jean Irrmann, Michel Leroy, Andonis Vouyoukas , et tant d’autres

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