Maurice Vinçon, Un pionnier du théâtre

Publié le 9 mai 2025 à 15:53

Michel Poulain, alias "Mimi", surnommé "Petit Pois", concepteur, artificier et cracheur de feu dans le spectacle 32e Bataillon Pyrotechnique Mobile. a été membre de la compagnie marseillaise Blaguebolle et se produisait déjà en fakir, le crâne entièrement rasé et maquillé en vert – d’où son surnom- lors du "Festival mai au mini", organisé par Maurice Vinçon.

propos recueillis par Gilbert Ceccaldi

Comédien et metteur en scène, Maurice Vinçon a parcouru l'histoire du théâtre à Marseille au cours des soixante dernières années en participant activement au développement de la pratique et à la diffusion des spectacles.

En créant et animant des lieux de spectacles (Mini-Théâtre de la place Carli dès 1971 puis Théâtre de Lenche en 1977), en inventant de grandes manifestations (Mai au Mini, Marseille en Fête, Festival des Iles, Fête du Panier, etc…), il a incité les différents partenaires publics à développer des politiques culturelles dynamiques et diversifiées et les a accompagnés dans cette démarche.

Parallèlement, il n'a jamais cessé son travail de création, non seulement en tant que metteur en scène, mais surtout comme acteur et interprète, dans des pièces aussi bien classiques que contemporaines.

« Avant la guerre, il y avait à Marseille une réelle vie culturelle, plutôt axée sur la variété (Alcazar, Gymnase) et les Revues Marseillaises (années 30-40). Ces revues avec Vincent Scotto ont ensuite gagné Paris. Il y avait également l'Opéra et une école importante de pantomime avec Louis Rouffe, élève de Charles Debureau.

Dans le domaine du théâtre, l’action la plus importante était celle du Rideau gris animé par Louis Ducreux (NDLR-qui ensuite à dirigé l’Opéra 1961-1965 et 1968-1971) et André Roussin qui jouaient au Gymnase. Cette équipe jouait classiques et auteurs contemporains. Il y avait aussi le « Théâtre Social » qui jouait à l'ancienne Bourse du travail, théâtre ouvrier très engagé, très militant et à forte fréquentation bien que semi-amateur . Et enfin il y avait les représentations théâtrales invitées par la grande bourgeoisie au Théâtre Sylvain et au Théâtre Athéna, aujourd'hui en ruine. Les bourgeois Marseillais invitaient de grands acteurs à se produire occasionnellement pour leurs invités.

Cette vie culturelle n'était pas le fruit d'une politique municipale.

Puis il y a eu la guerre et à sa suite, ce qu'on a qualifié de « désert culturel ». Pendant vingt ans, il ne s'est pas passé grand chose. Seuls existaient l'opéra et les musées, la délégation culture de la Ville étant confiée par Defferre à un élu de droite, Jean Goudareau (NDLR-10e Adjoint 1959-1965/ 65-71).

Et côté théâtre ?

Les tournées Herbert-Karsenty se produisaient au Gymnase une ou deux fois par mois ; toutes les autres troupes étaient amateures, aucune équipe professionnelle permanente.

Le Théâtre Aux Etoiles a été fondé par et pour Jean Vilar. Il a commencé par des représentations entre la Mairie et le port aux environs de 1954. Y a été joué, entre autres, « Le Cid » avec Gérard Philippe et Sylvia Monfort. Comme les gradins bloquaient la circulation, il a été transféré dans les jardins du Pharo. Jusqu’en 1959, Jean Vilar venait y roder ses créations avant Avignon. Après son départ, d’autres metteurs en scène l’ont imité, par exemple Jean Deschamps, et Marcelle Tassencourt, durant quelques années. Puis la gestion a été reprise par le comité des fêtes et la programmation s’est tournée vers la variété.

 

Le Mini Théâtre

J’ai créé le Mini Théâtre à la Place Carli en 1971 avec Eric Eychene. Robert Badani, alors Directeur de la Maison Pour Tous, avait dans ses locaux préfabriqués de la cour du palais Carli une salle qu'il utilisait peu et qu’il nous permettait d’utiliser pour nos spectacles. Ainsi est né le Mini Théâtre, premier théâtre permanent non institutionnel depuis la disparition du TQM (Théâtre Quotidien de Marseille autour des années 60). Ce projet a été soutenu par Antoine Bourseiller avec lequel je travaillais et qui, en 1969, a décidé de transférer à Marseille le Centre National Dramatique qui était jusqu'alors à Aix-en-Provence. Durant quatre ou cinq ans, le Mini théâtre est resté dans ces préfabriqués, qui se dégradaient. À force, c’était très inconfortable.

Un jour, Edmonde Charles-Roux a assisté avec Gaston Defferre à l'une de nos représentations de Salomé d'Oscar Wilde. La scène consistait en une bande située sur le pourtour de la salle, les spectateurs s'asseyaient au milieu, par terre, sur des tapis. Lorsque Defferre est arrivé, il s'est assis sur la scène et j'ai dû lui expliquer qu'il devait s'asseoir par terre. Après ce spectacle, nous avons commencé à obtenir des subventions. Lors du conseil municipal, il aurait dit : « il faut donner des sous à ces petits jeunes, ils ont un beau spectacle, il y a même une femme à poil dedans ».

A la même époque, la Ville envisageait de reprendre une murisserie de bananes sur le cours Julien pour en faire une Maison pour Tous. Frédéric Rosmini, qui nous soutenait, a convaincu l'équipe qu'il fallait créer dans son enceinte une salle de spectacle pour nous. En 1975, nous avons pu nous y installer, mais nous ne sommes restés que deux ans : la MPT qui gérait le lieu programmait sans cesse d'autres projets de spectacles dans la salle, l'organisation était trop compliquée, alors nous avons migré à Lenche, en 1977.

L’Hôpital Caroline, situé sur l’île de Ratonneau dans l’archipel du Frioul, a accueilli le Festival des Îles, le festival MIMI (Mouvement International pour les Musiques Innovatrices), ainsi que les Nuits Blanches pour la musique noire, organisées par l’association ACTES, en filiation directe avec le Festival populaire du quartier de Beaumont, dans le 12e arrondissement. L'association Caroline pour le renouveau et l'animation du Lazaret des îles a reconstruit et fait vivre le site de 1978 à 2007 et y a  organisé "les Nuits Caroline" de 2000 à 2006.

Et les festivals ?

Le premier, Mai au Mini, a eu lieu en 1975, sur la place Carli, il y a eu un monde fou, une première depuis la guerre. Cette fête a été un déclic pour la ville et l’année suivante, Frédéric Rosmini a proposé à Defferre d’organiser des Fêtes dans les quartiers. Le maire m'a demandé de préparer un projet et ce fut Marseille en Fête : six fêtes de quartiers incluant une programmation pluridisciplinaire et inspirées de Mai au Mini.

Marseille en Fête, financé directement par la Ville, a été le point de départ de la dynamique culturelle au niveau municipal. L’Office municipal de la Culture a été créé peu après.

 

Il y a eu la Fête en Bleu au Palais Longchamp, en 1975. Lorsque Marcel Maréchal est arrivé au Théâtre du Gymnase, où je participais à la programmation jeune public, il a voulu organiser une vaste opération à destination des enfants. Nous avons invité une metteuse en scène spécialiste, Françoise Pillet et organisé l’accueil d’un groupe d’artistes dans de nombreuses écoles marseillaises. Pendant plusieurs mois, des ateliers théâtre, danse, musique, arts plastiques, ont été menés dans les écoles puis présentés au palais Longchamp à côté d’une programmation professionnelle de spectacles.

Cette Fête en Bleu a eu un grand succès, mais ce succès, à mon sens, a été un demi-échec car il y avait trop de monde et les enfants se bousculaient pour voir les spectacles. Initialement, seuls les établissements scolaires marseillais devaient participer. Or, beaucoup d'autres écoles du département étaient là aussi.Dans le musée des Beaux-Arts, mis à disposition par le Maire, on organisait des rencontres entre artistes et enfants. Les gens s'asseyaient par terre en cercle et il y avait des débats sur le thème du jeune public. Pendant ce temps, les minots couraient dans toutes les salles, ce qui mettait les gardiens dans un état second.

 

Ensuite, j’ai dû quitter le Centre Dramatique National car Marcel Maréchal n'a pas beaucoup apprécié que l'on parle de moi autant que de lui dans l'article du Monde rendant compte de cette « Fête en Bleu ».

L'arrivée de Marcel Paoli à la suite de jean Goudareau comme Adjoint à la Culture en 1971 a modifié la donne. Il n'avait pas un gros budget, mais possédait une vision de la politique culturelle qui mêlait l’artistique, le social et le politique. Paoli a lancé les Festivals de quartiers : Beaumont, les Iles, Saint Victor, Brégante, Borely, ainsi que le Festival de Folklore de Château Gombert. Il voulait que la culture se diffuse dans toute la ville.

En 1976, il a créé l'Office Municipal de la Culture et désigné son directeur, René Murat.

Quels ont été les changements après la mort de Defferre, lorsque Vigouroux a repris son mandat et désigné Dominique Wallon à la culture en 1986 ?

 

La proposition de Dominique Wallon était très affirmée, fondée sur l'idée de « révélation artistique », ce qui le conduisait à faire des choix parfois contradictoires avec notre conception, plus pédagogique, qui reposait sur des propositions facilement accessibles pour le public, basées sur le plaisir. Les discussions étaient encore plus complexes avec sa collaboratrice, qui était une intégriste terrible de la Culture Cultivée (avec des C majuscules).

Par exemple, le spectacle  Les Troyennes au Festival des Iles, très beau spectacle, co-production européenne avec le Festival d’Avignon, n’était pas adapté au public du Festival des Iles, qui était plutôt familial : les gens venaient passer la journée à la plage puis la soirée à l’hôpital Caroline pour voir le spectacle. Dans ce lieu, nous avions organisé des événements incroyables. Je me souviens par exemple de la nuit Jean Giono : le public montait en début de soirée à l’Hôpital Caroline avec un troupeau de moutons et son berger, puis assistait à trois pièces de Giono successives. Entre chaque pièce, durant l’entracte, les spectateurs pouvaient manger un méchoui dans la cour voisine où tournaient des broches avec des moutons grillés. Ce coté fête populaire était apprécié. Or, les spectacles organisés par Reine Prat n’étaient pas du même ordre.  Les troyennes était joué en grec ancien, il y a eu aussi Au pays des éléphants en brésilien. Notre public somnolait et à force, ne venait plus.

Dominique Wallon possédait une vision extraordinaire, mais je contestais souvent ses choix. Selon moi, son projet s’adressait surtout à une élite : une population curieuse de culture, de spectacles, de musées, ce qui n'était malheureusement pas le cas de beaucoup de Marseillais à cette époque. Un jour, je lui ai dit : « tu t'entoures de gens intéressants et compétents, mais qui n'ont pas très bien compris ce qu'était Marseille. » Il m'a répondu : « j’ai l'habitude de travailler avec eux. » Reine Prat et Patrick Ciercoles étaient des personnes de qualité, mais je trouvais qu'ils forçaient le public marseillais à aller dans leur sens. Lorsque je parle de théâtre populaire, je ne parle pas de boulevard ni de spectacles vulgaires, mais d'un théâtre que le public non habitué peut recevoir immédiatement, et cela, il ne le comprenait pas. Pour lui, on arrive devant l'œuvre, aussi difficile soit-elle, et on éprouve une émotion artistique. Il était très éloigné de l’Education Populaire.

Cela dit, sa présence a non seulement permis de créer une direction, mais aussi de doubler le budget consacré au développement culturel. De plus, il a invité pas mal d'artistes à venir se produire et s'installer à Marseille. Et plusieurs sont restés. Par exemple Hubert Colas (?), Philippe Foulquié (Théâtre Massalia), Michel Crespin ( Lieux Publics).

Après son départ en 1989, son successeur Claude Domenach a poursuivi et transformé l’Eté Marseillais, qui coutait très cher, en une manifestation de type Festival gérée par l’Office de la Culture. Puis, le décès de Claude Domenach en 1991 a inauguré une période moins structurée. Le Festival de Marseille d’Apolline Quintrand a vu le jour beaucoup plus tard, en 1996, mettant fin au Festival des Iles qui existait depuis 1982. »

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