Beaucoup d’initiatives ont toutefois pu être impulsées. La démarche portée par le centre de la Buisserine fut instituée "projet-modèle", la construction du Merlan fut achevée, une annexe de l'école des Beaux-Arts ouvrit à Servières, des bibliothèques de quartier furent créées, l'ancien cinéma l'Alhambra fut rénové et ouvrit ses portes en 1990.
Il y eut des expositions et des installations : la commande publique d'une sculpture "Le bateau ivre"de Jean Amado sur les plages du Prado en hommage à Arthur Rimbaud, le projet Richard Baquié dans le 13ème arrondissement. Le théâtre des Bernardines, monté par Alain Fourneau, ouvert aux recherches contemporaines, ouvrit en 1988... Malgré les blocages, des formes artistiques intermédiaires réussirent à voir le jour. Et la ville accueillit, durant les étés 1987 et 1988, le festival "l'été marseillais", dont la programmation était composée de spectacles vivants et de performances artistiques, qui s'installèrent dans des lieux traditionnellement non dédiés à ce type d'événements, comme la Vieille Charité devenue pour l'occasion lieu de spectacle.
Notre visée, à Marseille, comme sous le premier ministère de la culture de Jack Lang, était de promouvoir la culture et les arts dans la cité, jusque dans la rue. Aujourd'hui, cela peut sembler assez évident, mais dans les années 1980, sortir d'une culture "officielle", marquée par une certaine condescendance bourgeoise, institutionnalisée dans les musées, les opéras, les conservatoires, les grands festivals destinés à des "élites" pour développer, à côté, des formes autres était une politique radicalement nouvelle. On s'intéressait aux projets reliés au développement social des territoires et de leur population, proposant des formats accessibles au plus grand nombre.
Le second axe du travail de notre équipe consistait à créer une ligne politique culturelle spécifique au sein de la municipalité, avec un budget propre, directement rattachée au cabinet. Il fallait donc reprendre le contrôle de l'OMC qui était chargé de verser des subventions aux petites structures de quartiers et du CPMA - Centre Provençal de Musique et d'Animation qui animait la maison de la musique, ce que j’ai progressivement réussi à faire, en réaffectant une partie du budget de l'OMC au budget général, puis en accédant à la présidence de l’OMC. Cela a permis d'impulser une dynamique de politique culturelle orientée vers le soutien de diverses formes d'art contemporain :
ouverture d'ateliers d'artistes, financement de compagnies comme Générik Vapeur, Marseille Objectif Danse qui regroupait quatre compagnies de danse, et de salles de spectacles diversifiées (Gyptis, Théâtre des Bernardines, Massalia devenu le théâtre des Marionnettes). Peu à peu se dessinait une direction culturelle autonome, mon rôle étant de mettre en avant les dossiers, de les défendre auprès des élus.
Plusieurs des petites compagnies théâtrales de l'époque étaient issues de l'éducation populaire, qui, avec Jacques Lang, avait été intégrée à la Direction de la Jeunesse et des Sports au lieu d'être rattachée à la direction de la Culture. Ainsi, les MPT relevaient plus de l'animation socio-culturelle que de la culture. Or, elles constituaient les supports de la promotion de la création culturelle en milieu populaire. La Busserine était une MPT par exemple, mais plutôt que de la voir seulement comme un centre d'animation socio-culturelle, il fallait la penser en lieu de création potentielle. C'est cela qui prend du temps : changer les représentations classiques de la culture pour penser les bases de la création populaire dans les quartiers ; créer les conditions pour que les activités artistiques, musique, danse et théâtre notamment, se développent dans des espaces traditionnellement exclus de l'art. La Friche de la Belle de Mai sera emblématique de cette double ambition populaire et artistique. Le théâtre de la Criée, au moment de sa création par Marcel Maréchal en 1981, avait également cet objectif, mais lorsque je suis arrivé à Marseille, sa programmation ne se renouvelait pas et ne s'ouvrait plus à la concurrence.
Comment donner la parole aux jeunes acteurs qui émergeaient dans la danse, le théâtre, les arts plastiques et visuels ? Cette question nous guidait. Et pour mettre fin au dualisme historique entre les élites classiques et la culture populaire, il fallait aussi imaginer une politique culturelle spécifique, rattachée au maire et se manifestant administrativement par une direction des affaires culturelles. C'est autour de cette visée qu'est née la DAC à Marseille, elle s'inscrivait d'ailleurs dans ce qui avait été promu durant les années précédentes avec la décentralisation des fonds culturels du ministère. Cela dit, si j'étais favorable à une direction de la culture, je ne voulais pas l'institutionnaliser. Pour moi, l'une des clefs de notre efficacité était aussi notre liberté relative à l'égard du politique : nous n'étions pas des fonctionnaires, nous étions en mission, au service d'une dynamique.
Je suis resté moins de trois ans à Marseille, mais je pense que mon équipe a contribué à donner sa dimension artistique et culturelle à cette ville.
Théâtre Chignolo,
Le Déménagement Fantastique de et par Guy Baldet lors de la première édition de la Guinguette en 1986.
Il reviendra lors de très nombreuses éditions dans divers quartiers des 13e et 14e arrondissements
Après les élections municipales de 1989 et la victoire de Vigouroux, je ne pouvais pas garder mon poste. Il n’y avait plus d’adjoint à la culture. Soit je devenais directeur de la culture, sous l’autorité des différents adjoints, alors je perdais mon lien direct avec le maire et ma capacité d'agir en son nom. Je n’avais aucune envie de me trouver dans cette situation. Soit je me présentais à un niveau politique, sur la liste Vigouroux, comme futur adjoint à la culture à la place de Christian Poitevin. Je n’y tenais pas non plus : cela impliquait d'abdiquer de mon statut de fonctionnaire d'Etat détaché à la mairie de Marseille.
J'ai donc repris pour un temps mon ancien statut d'inspecteur des finances avant d'être détaché auprès du Centre National de Cinématographie que j'ai dirigé de 1989 à 1995. Au CNC, comme dans tous mes précédentes missions, j'ai continué à défendre un plus large accès à la culture et la démocratisation du cinéma, comme je l’avais fait à Marseille en lançant Cinestival qui proposait des billets à moitié prix lorsqu'ils étaient achetés dans un lieu culturel. J'ai appuyé le développement des réseaux de cinémas d'arts et d'essai, le maintien des salles dans les centres-villes et les villes petites et moyennes ou la relance de la production cinématographique française, et les coproductions avec les cinématographies des pays de l’Europe centrale et orientale et du Sud.
Après les années 2000, en créant le festival du cinéma africain du pays d'Apt, j'ai poursuivi les mêmes buts : faire connaitre au plus grand nombre les œuvres réalisées par les cinéastes d’Afrique, promouvoir la présence artistique sur tous les territoires, même les plus reculés; permettre aux gens de se libérer des contraintes de l'uniformité imposées par les médias et la société ; faire connaitre la culture populaire. C'était une politique de gauche, au service de l'égalité, de la justice, de l'autonomie et des libertés. L’émancipation humaine passe par l’éducation, la discussion, la confrontation, la critique, l’ouverture de l’imaginaire. La culture, c’est ça et c’est essentiel.
A Marseille, j'ai vécu une période où tout était possible, le budget était conséquent pour la ville, bien que bien modeste par rapport aux autres grandes métropoles , nous étions une équipe dynamique et motivée qui croyait à ce qu'elle faisait. Certains projets n'ont pu avoir lieu à ce moment-là, mais ils ont été développés plus tard, par exemple le MUCEM construit vingt ans après notre proposition de créer un musée de la Méditerranée au Fort St Jean. De même, les galeries d'artistes, les festivals, les collectifs se sont multipliés., des jumelages et des échanges internationaux en Europe et en Méditerranée ont eu lieu et continuent de se produire. Marseille a continué sa route, avec toujours plus d'artistes et de créations.
Après mon départ, c'est un de mes plus vieux amis, Claude Domenach, qui a quitté la mission qu'il avait à l'institut culturel de Tel Aviv pour poursuivre la mienne, sur ma proposition. Nous nous suivions tous les deux depuis nos études. Lorsqu'il était directeur de l'Institut d'Etudes Politiques, il m’a fait venir à Grenoble, où je suis devenu président de la maison de la culture. A ma suite, il est devenu le premier directeur des affaires culturelles à la Mairie de Marseille, dans des conditions très contraintes, puisque l'élu, Christian Poitevin, lui laissait très peu de marge de manœuvre. Malheureusement, il est décédé, environ deux ans après sa prise de poste.
Au début des années 2000, peu après le décès de ma femme, je suis venu m'installer ici, dans cette maison du Luberon que nous avions achetée tous les deux et où elle passait beaucoup de temps. J'ai continué à m'impliquer dans la culture, avec la création du festival du cinéma d'Afrique, dont j'ai abandonné la présidence il y a quelques années afin de m'adonner entièrement à cette maison, mon jardin, mes promenades, mes petites activités quotidiennes et régulièrement, le cinéma..."
Ci-dessus: les italiens du Teatro Paravento en 1991 sur la place Dalmas en partenariat avec le Centre Social Saint Gabriel
Ci contre: le portique des Elastaunautes en 1993 sur le parking en face la maison de quartier.
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