Carte postale de la dernière édition de L'Été marseillais — initiative lancée par Dominique Wallon dès 1987 et pensée sur le modèle de L'Été romain. En neuf ans, ce modèle a permis d'offrir plusieurs dizaines de manifestations, mêlant rendez‑vous traditionnels et propositions inédites, parfois surprenantes.
Dominique WALLON, janvier 2022, propos recueillis par Marie D'Hombre association Récits
Une action structurante
Dominique Wallon me reçoit un matin de janvier, dans sa maison située sur les hauteurs du Luberon. Après une longue discussion portant sur son histoire marseillaise, il m'invite à consulter des notes qu'il a écrites à cette époque à destination du maire pendant qu'il prépare le déjeuner.
Dominique Wallon, né en 1939, est un des grands acteurs institutionnels du développement des Arts visuels et de la culture en France. Fils de Jacques Wallon, membre de la résistance durant la seconde guerre mondiale et disparu en 1944, il intègre l'Institut d'Etudes Politiques de Paris et s'implique dans la lutte contre la colonisation en tant que président de l'Union Nationale des Etudiants de France (UNEF) durant la guerre d'Algérie. Au terme de ses études, il intègre l'inspection des finances en tant que fonctionnaire et continue à œuvrer au service de la démocratisation de la culture, à Grenoble (président de la Maison de la Culture) puis sous la Présidence de François Mitterrand, comme directeur au Ministère de la culture de Jack Lang.
En 1986, après la défaite du parti socialiste aux élections législatives et lors de la première cohabitation (François Mitterrand à la présidence; Edouard Balladur premier ministre), François Léotard est nommé ministre de la culture. Dominique Wallon annonce alors publiquement sa démission, qu'il justifie par les blocages imposés par le nouveau gouvernement aux projets développés au sein de la direction du développement culturel.
Durant l'été, Jack Lang le contacte : Le 7 mai, Gaston Deferre est décédé et sa compagne, Edmonde Charles-Roux, grande instigatrice "souterraine" de la vie culturelle de la ville depuis vingt ans, est à la recherche d'une personne compétente pour orienter la politique culturelle sous la nouvelle municipalité Vigouroux. Il accepte de la rencontrer afin d'évoquer avec elle les conditions de possibilité de son implication au sein de la ville phocéenne.
"Edmonde Charles Roux me reçoit donc chez elle pour le diner ; je rencontre ensuite à Marseille les élus Robert Vigouroux, Philippe Sanmarco, ainsi que Marcel Maréchal, Roland Petit, Jeanne Lafitte, autant de figures locales importantes à cette époque. Il n'y a pas alors de direction et le domaine culturel est découpé en multiples tranches déléguées à des élus les régentant comme des fiefs. Parmi eux, Michel Pezet, élu du parti socialiste, qui était en conflit avec Vigouroux pour la succession du mandat de Maire, avait obtenu plusieurs délégations.
Suite à notre discussion, j'accepte d'intégrer l'équipe municipale à deux conditions : d'une part, conserver mon indépendance par rapport aux services administratifs existants en étant nommé "chargé de mission auprès du Maire et responsable d'une direction générale des affaires culturelles à constituer" afin de n'avoir à rendre compte de mes actes à aucun autre élu que lui. D'autre part, avoir carte blanche pour constituer une équipe d'intervenants susceptible de "coordonner l'ensemble du secteur culturel, avec un budget propre et sur la base d'un document de politique culturelle" .
Ma requête est acceptée. Je m'installe donc à Marseille, dans un appartement mis à disposition par la ville et situé à l'arrière de la place de Lenche, en haut de la grande tour réalisée après la guerre selon les plans de l'architecte Fernand Pouillon ; vue fantastique sur la ville et le château d’If.
Dans les semaines qui suivent, je réunis une dizaine de personnes repérées pour leurs compétences dans les différents champs des arts et de la culture au cours de mes précédentes fonctions.
Pour mémoire, au niveau national, les précédentes années de la présidence Mitterrand ont été marquées par la décentralisation avec l’autonomisation des Régions, sous le patronage de Gaston Deferre, d'abord ministre de l'Intérieur et de la décentralisation (1981-84) puis du plan et de l'aménagement du territoire (1984-86). En Provence, le premier Conseil régional a été présidé jusqu'en 1986 par Michel Pezet.
La MJC Corderie, sous la direction de Jean Irrmann, a reçu une aide spéciale lors du premier « Été Marseillais » en 1987 pour inviter la troupe catalane La Fura dels Baus avec leur spectacle Suz o suz. Deux représentations du spectacle se sont déroulées dans un hall du parc des expositions réservé pour l'événement, et elles ont rencontré un immense succès qui a marqué les mémoires.
Ce processus a conduit à la signature des conventions, dont ma direction (du développement culturel) avait la responsabilité, entre l'Etat, les Régions et les Villes permettant d'impulser une plus grande répartition sur le territoire des financements dédiés à la culture et d'inciter les collectivités locales à développer des projets avec leurs habitants.
Le panorama de la culture et des arts dans la cité phocéenne se présente alors de manière dualiste : il y a d'un côté, les grandes institutions de la ville qui fonctionnent en circuit clos, sans intégrer de nouveaux courants artistiques ou des formes populaires de création émergeantes. De l'autre côté, se trouve l'Office municipal de la culture présidé par Marcel Paoli (avocat brillant et cultivé, représentant le parti radical, ayant également la délégation pour tout le secteur musical) et chargé de distribuer de petites subventions principalement à des compagnies de théâtre diverses, parfois plus proches de l’animation culturelle que de la création. Je décide de promouvoir la présence des artistes dans la ville en m’appuyant sur ces structures ou en suscitant de nouvelles. Par la suite, je proposerai à Robert Vigouroux de rapatrier plusieurs des subventions correspondant au budget de l'OMC au budget central de la ville. Il faut mentionner la situation des musées de Marseille, remarquablement dirigés et animés par Germain Viatte, avec qui le dialogue fut toujours facile et stimulant.
L'équipe, restreinte mais hyper-dynamique, au complet, j'obtiens également un budget augmenté sur deux ans de près de 50% par rapport à celui de 1986, ce qui nous permet de lancer et promouvoir plusieurs projets artistiques forts et innovants, sans remettre en question le soutien de la ville aux grandes institutions marseillaises que sont alors le Conservatoire, l'opéra de Marseille,, l’Ecole des Beaux Arts ainsi que le théâtre de la Criée, le ballet dirigé par Roland Petit,,le théâtre du Gymnase qui sont sous mon autorité mais n'envisagent pas d'accueillir dans leurs programmes des artistes moins connus ou des compagnies marseillaises .
Or, notre objectif est de soutenir des initiatives existantes ou latentes qui ne demandent qu'à vivre. La plupart des projets existent déjà, ils sont écrits et prêts à se déployer, sous réserve d'obtenir le soutien nécessaire. Nous décidons donc d'appuyer l'ouverture et le développement des théâtres, d'une part en engageant la rénovation de certains lieux - la Minoterie, Lenche, le Gyptis, le Toursky, d'autre part en favorisant la création de nouvelles salles - le théâtre des Bernardines avec la compagnie d'Alain Fourneau, le théâtre des marionnettes Massalia.
Autres axes de notre travail : l'appui au projet de création-diffusion cinématographique l'Alhambra à Saint-Henri ; le soutien à la création de galeries, d'ateliers d'artistes, de compagnies de danse réunies dans Marseille Objectif Danse ; l’ouverture internationale aussi. Il fallait enfin quelques évènements emblématiques, comme le fut dès 1987 "l'Eté marseillais" (près de 100 manifestations , certaines « classiques », d’autres inédites voire surprenantes) pensé à partir du modèle de "l'été romain" ou le projet d’échanges et de coproductions sur la durée conclu entre trois villes méditerranéennes Marseille-Naples- Barcelone, MANABA, dont Marseille devait accueillir la première édition en novembre 1988.
Combien de projets ont pu réellement voir le jour? Beaucoup mais pas tout ce que nous voulions faire. Je passais beaucoup de temps à défendre, au nom du Maire,chaque projet devant le groupe socialiste du conseil municipal, où Michel Pezet s'opposait de plus en plus vigoureusement à tout ce qui émanait du Maire au fur et à mesure que les élections municipales de 1989 approchaient. Par conséquent, plusieurs projets ont été retoqués. MANABA par exemple n'a jamais pu avoir lieu, c'eut été un trop beau cadeau pour Vigouroux à quelques mois des élections municipales, ou celui de l’accueil à la Vieille Charité de la collection de photos de la DATAR. J’avais aussi préparé pour le Maire deux dossiers de « grands projets », la création d'un musée de la Méditerranée au Fort St Jean et celle d’un département sur Aix-Marseille de la future « Grande Bibliothèque ». Le Président de la République ne les a pas retenus.
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